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LA PRISON

mon fils porte le deuil. Nous avons passé outre et je n’ai plus de fils… Maintenant cet homme est mort. Je suis libre. Dieu, qui nous a tant punis, nous donne une occasion de réparer notre faute. Nous pouvons revenir à lui, nous marier religieusement… Dis-moi que tu y consens, mon Albert, que tu feras de moi ta femme devant l’Église… Dis-le moi ! Sinon, je ne vivrai plus. J’aurai trop peur de perdre Jeanne aussi, je ne sais pas comment. Mais j’aurai peur… C’est en son nom, au nom de notre fille, que je te supplie. « 

— « Je m’attendais à cette demande, » répliqua Darras. Une extrême tristesse s’était répandue sur ses traits, cette mélancolie vaincue que l’on éprouve au chevet d’un être chéri, soudain terrassé en pleine convalescence par une rechute aiguë du mal qui a failli l’emporter et dont on l’a cru guéri. « Je m’y attendais, » répéta-t-il, « et je ne t’en veux pas. Tu viens de tant souffrir. Tu es trop excusable de ne pas apercevoir notre vie sous un angle exact. Je n’essaierai plus de te rien démontrer. Tu me prêtes des partis pris, là où j’applique simplement le plus vulgaire sens commun. Tu réfléchirais froidement cinq minutes, tu reconnaîtrais la première que notre histoire avec Lucien n’est qu’une suite d’événements très ordinaires, comme il en surgit tous les jours, entre un fils de vingt-trois ans et ses parents, dans les ménages les plus catholiques… En revanche, je ne m’attendais pas que tu me fisses cette demande, au nom de notre fille ? Tu n’as donc pas compris quelle signification emporterait à l’égard de cette enfant un mariage religieux, entre nous, ses parents, et aujourd’hui ? Quand tu m’as dit, l’autre semaine, dans une crise