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UN DIVORCE

clair et de me permettre d’y voir clair. Nous avons perdu un de nos enfants, mon Albert. Ne perdons pas l’autre… »

Elle s’était redressée, en parlant, sur le fauteuil, au bois duquel se crispaient ses mains. Sa voix s’était faite de plus en plus ferme, de plus en plus chaude. Le sang était remonté à ses joues et dans ses yeux brûlait une étrange flamme, que Darras y avait surprise trop souvent cette semaine pour s’y tromper. Il tressaillit devant cet indice que la fièvre mystique des remords religieux la consumait de nouveau. Depuis que le billet de Lucien annonçant la mort de Chambault était arrivé, le second mari appréhendait la redoutable demande à laquelle la renaissance de sa foi, catholique devait nécessairement conduire la divorcée devenue veuve. Au ton pressant de Gabrielle, il devina par quelle supplication allaient se traduire ces énigmatiques dernières paroles et il interrogea :

— « L’autre ? c’est Jeanne. Quel rapport peut-il y avoir entre la chère petite et notre malentendu avec Lucien ? Explique-toi. »

— « Pourquoi me parles-tu comme si tu ne m’avais pas comprise, Albert, » répondit-elle, « quand tu ne m’as que trop comprise ? Ne me dis pas que non. Ne me traite plus comme si j’étais une malade. L’heure est trop grave, vois-tu. Nous avons reçu de trop solennels avertissements. Nous avons perdu Lucien, parce que nous avons été trop coupables, moi surtout, qui croyais, en cédant à la terrible tentation de cette loi impie du divorce. Il n’y a pas de code humain qui puisse prévaloir contre l’ordre divin. On ne divorce pas des sacrements. Devant Dieu, j’étais toujours l’épouse de cet homme dont