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UN ADIEU

de légaliser une situation, qui, dès aujourd’hui, est pour moi aussi respectable que le sont peu les beaux mariages dont rêvent mes camarades… Mlle Planat a un enfant. Je ne veux pas qu’il traverse ce que j’ai traversé. En le prenant avec nous maintenant, il ne saura jamais que je ne suis pas son père… J’en appelle à ton sens de justice, maman, j’insiste sur ce mot, car, pour moi, tout est là : pourras-tu ne pas m’estimer de vivre ainsi ? »

— « Mais toi-même, » répondit-elle, « t’estimeras-tu de m’avoir abandonnée, moi, ta mère, de n’avoir pas tenu compte du chagrin que tu me causais ? »

— « Serait-ce en tenir compte que de rester ici à te torturer le cœur, comme je viens de faire, en torturant le mien ?… Je ne t’abandonne pas. Je te laisse à ton mari, à ta fille… »

— « Et sans mon fils ! » implora-t-elle.

— « Maman, » répondit-il à ce déchirant soupir, « ne m’ôte pas mon courage. Il le faut. C’est mon devoir, même envers toi, » — il insista : — « surtout envers toi. » Puis, la serrant tout à coup dans ses bras d’une étreinte si passionnée qu’il lui fit mal : — « Adieu, » dit-il à voix basse, « adieu… » — Et, avant qu’elle eût pu répondre un mot, il sortit du petit salon. Le cri : « Lucien ! Lucien ! » qu’elle poussa à deux reprises, ne le fit pas se retourner. Comme l’autre jour, elle entendit le battant de la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer. Le roulement d’une voiture acheva de le lui démontrer : cet adieu, d’une si foudroyante soudaineté qu’elle en demeurait comme paralysée d’étonnement, était bien réel.

— « Il est parti, » gémit-elle, « parti ! parti !… Et il n’est même pas monté là-haut pour embrasser sa sœur !… »