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UN DIVORCE

— « Et moi, » interrompit-il en se relevant, « je t’ai dit pourquoi je ne veux pas attendre. Ma vie est là, devant moi, je veux la vivre. Je le veux et je le dois. Mlle Planat a été trop malheureuse et trop injustement. J’ai promis de lui rendre en bonheur tout ce qu’elle a souffert par la cruauté et l’iniquité du monde. En venant ici, je prévoyais ton refus. Je l’y ai préparée et je l’ai amenée à consentir au parti que je vais te dire… Elle et moi, nous avons la même croyance. Nous pensons que la valeur morale du mariage réside uniquement dans l’engagement des consciences. M. Darras a eu beau s’indigner contre cette idée, quand je l’ai énoncée, l’autre jour, je la garde, parce qu’elle est vraie, que je la sens vraie, avec tout ce que j’ai de justice en moi. Le vrai mariage, le seul qui soit absolument exempt de convention mensongère, c’est l’Union libre. Si j’ai voulu d’abord épouser Mlle Planat légalement, c’est que le mariage légal est une preuve publique d’estime. Tu t’opposes à ce que je la lui donne dès maintenant. Je m’incline. Mais, elle et moi, nous avons échangé nos promesses. Nous allons vivre ensemble en Union libre. Nous serons méconnus, calomniés. Nous aurons nos consciences pour nous… Nous avons résolu de quitter Paris. Quand je n’aurais pas d’autres raisons pour désirer ce départ, je me considérerais comme tenu de t’épargner les commentaires que ma vie ici, dans ces conditions, provoquerait certainement dans ton entourage… Nous irons en Allemagne. Ma femme y continuera ses études de médecine, et moi, j’y commencerai les miennes. J’ai pris la passion de cette science. Ma fiancée l’a aussi. Nous travaillerons ensemble. Dans deux ans, je serai libre