Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
UN ADIEU

cri de martyre jeté vers lui. — « C’est moi qui suis coupable, moi qui mérite d’être puni, puisque j’ai pu te donner cette impression d’un reproche et d’une plainte ?… Et je n’étais venu que pour t’affirmer, pour te répéter mon culte, ma dévotion… Je voulais bien te faire comprendre que, même sorti de la maison, je te garderai la meilleure part de ma tendresse, toujours, toujours… Toi punie ? Et de quoi ? D’avoir été trop simple, trop sincère, d’avoir trop cru que tous les cœurs ressemblaient au tien… Ils ne lui ressemblent pas. Ils ne sont pas comme lui toute bonté, tout amour, le mien tout le premier. Regarde-moi. Souris-moi… » — Et il ajouta douloureusement : — « Pense que nous resterons si longtemps peut-être sans nous revoir… »

— « Alors, c’est décidé, » implora-t-elle avec un sursaut, « tu t’en vas d’ici ? »

— « Oui, » répondit-il. « Tu viens toi-même d’éprouver que j’ai raison… » — Et il montrait la porte qu’elle n’avait pas eu le courage d’ouvrir, — « et de me le dire. Après ce qui s’est passé, et avec les sentiments que je t’ai laissé voir, il m’est interdit de vivre entre vous. Ce n’est plus ma place. J’ai rencontré une femme que j’aime et qui m’aime. Elle a toutes mes idées et j’ai tous ses goûts. Nos façons de sentir et nos principes sont identiques. C’est ma femme, enfin celle avec qui je pourrai construire un foyer comme je le rêve. Le pauvre mort l’avait compris, lui. Comprends-le aussi, et donne ton consentement à notre mariage. »

— « Non ! » fit-elle en dégageant ses mains de l’étreinte suppliante de Lucien. Elle secoua la tête et répéta : — « Non… non… Je t’ai demandé d’attendre. Est-ce trop exiger ? »