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UN DIVORCE

d’une vie contraire à tes idées, à tes désirs. J’ai voulu t’en avoir déclaré toutes les raisons. Je ne suis pas un mauvais fils. Mais rentrer ici, reprendre ma place dans votre intérieur, à présent, je n’en aurais pas la force… J’y serais trop misérable… »

Tandis que Lucien parlait, Mme Darras le regardait sans une larme, sans un sanglot, les prunelles fixes, dans cet état d’anéantissement subit qui s’observe au cours de certaines catastrophes où l’excès de la douleur paralyse toute réaction. Elle avait bien souffert depuis ces deux semaines ; elle s’était bien heurtée, et avec quels remords, aux conséquences, toujours renaissantes autour d’elle, de ce second mariage, consenti jadis après une telle lutte de conscience ! Elle n’avait pas souffert comme cela. Ce n’étaient plus les conséquences de son acte qu’elle avait devant elle. C’était l’acte même, que la plainte étouffée de son fils lui rendait présent et comme concret. En pensée et dans l’éclair d’une hallucination rétrospective, elle avait retraversé toutes les étapes qui l’y avaient conduite. La première avait été le départ de l’hôtel Chambault. Elle s’en était crue justifiée alors. Si cependant elle avait été plus patiente encore ; si elle n’avait pas introduit, sur le conseil d’hommes de loi, cette demande en séparation qui avait exaspéré la rancune du père de Lucien ? Il lui avait demandé de revenir à l’époque de ce procès, une autre fois encore. Elle avait refusé. Plus tard, quand il avait voulu transformer la séparation en divorce, elle avait, toujours sur les mêmes conseils, affecté de ne pas s’y opposer. C’était vrai, pourtant, qu’elle avait sa part de responsabilité dans ce divorce ; vrai encore qu’en se remariant, alors que son fils