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UN ADIEU

bien des froissements. Ce n’était pas sa faute, à lui non plus. J’appelais ton mari mon père. Il me traitait comme un fils, avec cette autorité qui s’étend aux moindres détails de la vie. Je me suis tant irrité là contre !… Et puis il y a eu sa grande injustice pour ma fiancée, et ma désillusion sur son caractère. J’ai trop souffert que tu lui donnasses raison contre moi dans une circonstance où je ne l’estimais pas… Enfin, et surtout, il y a eu ces quelques jours auprès de mon vrai père, depuis ce moment où je suis allé chez lui, presque honteux d’y aller… Le sentiment que je l’ai vu me porter m’a retourné le cœur. J’ai compris qu’il se repentait. Assis au chevet de son lit, et causant avec lui indéfiniment, je l’écoutais se souvenir de sa vie manquée. J’ai trop eu la preuve qu’il avait valu mieux que cette vie. Sans cesse ses regrets allaient à toi, aux jours de vos fiançailles, à ma naissance… C’était fou, sans doute : en l’écoutant, je ne pouvais m’empêcher de rêver. Je vivais en pensée l’existence que j’aurais eue entre vous deux si les choses s’étaient arrangées d’une telle manière que tu pusses ne pas le quitter. Qui sait ? Les bons côtés de sa nature se seraient peut-être développés. Il en avait tant. Je l’ai trop compris encore à ce que m’ont raconté de lui ses compagnons d’enfance et de jeunesse, à Villefranche… Je ne t’accuse pas, maman. Tu n’as pas eu la force de supporter ses défauts au delà d’un certain point, même à cause de moi. Car j’existais !… Je ne t’en ai pas voulu ; mais tout ce qui a été, par comparaison avec ce qui aurait pu être, m’est devenu trop pénible. Ce n’est pas juste, peut-être ; mais je te le répète, je ne te juge pas. Je sens tout haut, devant toi… Je vais te quitter, Je vais vivre