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UN ADIEU

pression très différente de celle qu’il attendait. Je mentirais si je disais qu’il a changé d’idées entièrement à son égard. Il dit cependant que nous l’avons peut-être jugée un peu vite. Avoue que nous avions des motifs bien naturels de la redouter ?… Mais enfin, s’il nous était démontré qu’elle est vraiment telle que tu la vois, si nous avions la certitude qu’elle serait pour toi une bonne femme, je pourrais, moi aussi, modifier un jour ma façon de penser. Cela ne peut être que l’œuvre du temps. C’est donc du temps que je te demande pour te donner une réponse définitive, et il n’est que juste de m’en accorder… »

Elle avait prononcé ces phrases, où son passionné désir de défendre son second mari contre le fils du mort éclatait si naïvement, en cherchant au fond des yeux de Lucien une lueur d’hésitation qu’elle n’y trouva point. La physionomie du jeune homme s’était au contraire assombrie davantage et comme durcie. Il ne répondit rien d’abord. Il s’était levé et il se mit à marcher de long en large dans la chambre. Tout d’un coup il s’arrêta devant elle, et, saccadant ses phrases, précipitamment, la lèvre amère, il lui dit :

— « Du temps ? À quoi bon ?… Il y a des choses que le temps ne peut pas changer. Le temps n’empêchera pas que M. Darras n’ait insulté ma fiancée, et moi avec elle, ici même, d’une manière qu’il ne peut plus réparer. Le temps n’empêchera pas qu’il n’ait revendiqué des droits sur toi aux dépens des miens et que je n’aie dû m’en aller, et toi, tu m’as laissé m’en aller, moi, ton fils, parce que, dans cette maison, tu n’es pas chez toi, tu es chez vous… Oui. Il faut que tout ait été dit, c’est mon avis. Où le