Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
UN DIVORCE

raconter par le détail cette transformation de mes pensées que je suis ici, mon Père. Je vous en ai assez dit pour que vous compreniez à travers quoi j’ai passé, et comment je suis arrivée à ce désir où se résume tout le reste : Jeanne va faire sa première communion dans trois semaines, je voudrais communier avec elle. »

— « Vous n’avez pas seulement sauvé l’âme de votre fille, » répondit le prêtre, « vous avez sauvé la vôtre, madame. Ne soyez pas troublée d’être restée si longtemps loin de Dieu. Vous l’avez appelé le bon Dieu, et vous avez eu raison. Il ne demande qu’à pardonner. Le cœur de Notre-Seigneur est toujours là. Vous avez encore raison de croire qu’il agit en vous. C’est lui qui vous a conduite, d’heure en heure, jusqu’à celle-ci, soyez-en sûre. Vous voulez communier. C’est si simple ! Je suis prêt à recevoir votre confession, quand vous le désirerez…, ici… dès maintenant… »

Le digne homme avait parlé d’un ton attendri où perçait un regret de sa première méprise. Ce récit avait éveillé en lui un sentiment très particulier. S’il avait les défauts que comporte l’esprit abstrait des géomètres, il en avait les vertus, entre autres cette puissance du mysticisme dont s’accompagne souvent le génie mathématique, témoins un Pascal, un Leibnitz, un Newton, et, de nos jours, un Cauchy, un Puiseux, un Hermitte. Un effort lui avait été nécessaire quand il appréhendait l’aveu d’une histoire d’amour. Son intérêt, au contraire, était surexcité au plus haut point par cette confidence, très peu intellectuelle, très dépourvue de rigueur logique ; mais il y avait vu, comme la mère de Jeanne, le mystérieux dialogue de Dieu