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UN ADIEU

pour aller à lui, tant elle appréhendait ce changement du cœur du jeune homme, annoncé par Darras, et, tout de suite, un autre petit fait, plus significatif encore, augmenta son trouble : l’opposition entre les vêtements de grand deuil que portait Lucien et sa toilette. Elle l’avait pourtant choisie presque sombre, sa fine sensibilité de femme ayant prévu ce contraste. Puis, tremblant qu’Albert ne fût froissé, elle n’avait pas osé se mettre tout en noir. Lucien aussi tressaillit devant ce visible symbole du divorce qui continuait de séparer son père et sa mère d’une séparation plus profonde que la mort, et ce fut d’une voix triste qu’il répondit, quand elle lui eût demandé affectueusement :

— « Tu as été bien ébranlé, mon pauvre enfant, bien atteint ?… »

— « Oui, maman, plus que je ne peux te le dire. »

— « Mais tu peux me le dire…, » insista-t-elle. « Je peux tout entendre… La mort, vois-tu, efface bien des choses, et, du moment que tu as un chagrin, surtout celui-là, sois très sûr que j’en prends ma part. »

— « Je le sais, » dit-il, « mais causer de tout cela, même à toi, me ferait du mal… C’était mon père, et quelques torts qu’il ait eus à ton égard, à mon égard aussi, en le voyant mourir, j’ai senti que je gardais pour lui, au fond de mon cœur, une tendresse que je ne soupçonnais pas… Il est mort très paisiblement. Il avait eu quelques crises de délire bien pénibles. Ce délire a disparu. Il a réclamé un prêtre. J’ai cru devoir accéder à son désir. Après le départ de ce prêtre, il a encore eu une demi-heure lucide, où il m’a parlé. Ensuite une espèce de torpeur l’a envahi, et il a passé sans autres signes de