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UN DIVORCE

Lorsque, vingt-quatre heures plus tard, Lucien entra dans le petit salon où, l’autre semaine, de si terribles paroles s’étaient prononcées entre eux trois, elle comprit, dès le premier coup d’œil, que son mari ne s’était pas trompé. Elle avait devant elle quelqu’un qu’elle ne connaissait pas tout à fait. D’avoir assisté aux derniers jours de son père, d’être allé ensuite dans ce coin de province d’où sortait leur lignée, d’avoir vécu cette semaine entière avec des parents et parmi les souvenirs du mort, avait suscité chez le jeune homme des pensées et des sentiments bien différents, et de ceux qu’il avait eus autrefois, et de ceux même dont l’éclat avait rempli cette pièce. Gabrielle touchait à la plus dure épreuve qui puisse atteindre une femme divorcée et remariée : son enfant avait cessé de lui donner complètement, absolument raison. Ce geste presque instinctif qu’il avait encore eu dans le billet écrit pour lui apprendre la catastrophe, ce caressant mouvement vers elle dans la peine, il ne l’avait déjà plus. Il n’était plus « son petit ». Malgré lui peut-être, il était son juge. Elle lut cela sur son visage amaigri, dans ses prunelles brillantes, sur sa bouche frémissante, avant même qu’il n’eût parlé, et, du même coup, cette question du mariage avec Berthe Planat, dont elle avait été tellement inquiète, passa au second plan de ses préoccupations. La différence entre leur dernière entrevue, si douloureuse, et si tendre encore, et celle d’aujourd’hui fut bien marquée par ce très petit fait, mais très significatif : ni lui, ni elle ne se précipitèrent au-devant l’un de l’autre comme alors. À peine si elle se leva du fauteuil où elle travaillait, afin de l’embrasser, longuement et silencieusement. La force lui aurait manqué