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UN ADIEU

où il était déjà vis-à-vis de notre ménage n’aient été très aggravées… »

— « Tu m’as dit pourtant qu’il n’y avait rien eu entre vous à ce moment-là ?… répondit la mère.

— « Il n’y a pas besoin de paroles entre gens qui se connaissent comme nous nous connaissons, » reprit Darras. « Le regard suffit. Je l’aurais mieux aimé tel que nous l’avons vu ici, violent, injuste, furieux. Mais j’existais pour lui. Toute sa colère, c’était son affection exaspérée. »

— « Et l’autre jour ?… Achève… »

— « L’autre jour, j’ai senti que je n’existais plus pour lui. J’ai bien pensé depuis à ce parti pris de ne plus me connaître, que j’ai lu distinctement dans ses yeux… Je ne te répéterai pas les réflexions que j’ai faites. Tu les devines. Je peux m’être trompé. Si j’avais vu juste, cependant, cette première conversation entre toi et lui, revenant d’où il revient, risquerait de te réserver des surprises. Tâche donc de t’y bien préparer et d’y apporter du calme, beaucoup de calme. Les conditions ne sont plus tout à fait les mêmes. Tu n’as plus à craindre un coup de tête immédiat. La loi est pour nous… Tâche seulement que Lucien ne sorte plus d’ici pour n’y plus revenir… »

Il n’ajouta rien. Visiblement les impressions qu’il résumait dans ces termes ambigus avaient été si amères qu’insister davantage lui était pénible. Cet avertissement correspondait trop à certaines idées éveillées chez Gabrielle par le silence de son fils durant ces huit jours. Elle n’essaya pas d’arracher à son mari des explications qui lui auraient coûté à lui, et qui, à elle, n’auraient rien appris.