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UN DIVORCE

courrier n’apportait rien, et elle se perdait en conjectures, parfois insensées : une maladie subite qu’on lui cachait ; le mariage avec Mlle Planat célébré là-bas, grâce à l’ignorance ou à la complicité d’un maire de campagne… Que savait-elle ?… Son épouvante la reprenait d’une expiation plus redoutable encore du scandale qu’avait été son ménage, cette longue intimité avec un homme que le monde, qu’elle-même appelait son mari, et qui ne l’était pas !… Elle tremblait et concevait, avec toute sa ferveur, le ferme propos de parler à Albert le jour même que Lucien serait revenu. Elle finit par transformer cette résolution en un vœu et par aller à Saint-Sulpice promettre à Dieu d’avoir ce courage. Telle était sa sincérité qu’au moment où elle reçut enfin du jeune homme cette lettre si désirée, où il lui annonçait sa rentrée à Paris et sa visite pour le lendemain, elle pensa se trouver mal. L’échéance était arrivée à laquelle il ne lui vint pas une seconde l’idée de manquer. Son fils ne serait pas plus tôt sorti de chez elle que l’entretien avec son mari aurait lieu. Ce dernier était là justement, un peu inquiet de l’avoir vue qui pâlissait ainsi, et, après avoir pris connaissance du billet, cause de ce saisissement :

— « Il faut être plus maîtresse de toi, » lui dit-il avec douceur ; puis, hésitant un peu : — « d’autant plus que cette entrevue sera, je le crains, douloureuse… — Oui, » insista-t-il, « quand je me suis trouvé en face de Lucien, place François Ier, j’ai eu l’impression qu’il avait encore changé… Je ne t’en ai pas parlé sur le moment, mais il vaut mieux que tu sois prévenu. Je crains que les dispositions