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UN ADIEU

Ainsi Gabrielle risquait d’avoir à lutter contre Albert en luttant contre Lucien à propos de cette créature ! Son aversion de mère à l’égard de la séductrice demeurait d’autant plus intransigeante qu’elle-même se trouvait, comme épouse, dans une situation plus incorrecte. À un moment donné, elle avait pu, emportée par le délire du remords, assimiler son état de femme divorcée et remariée civilement à celui d’une irrégulière, comme était la malheureuse fiancée de son fils. En réalité, tout son être intime se révoltait à la pensée qu’une telle comparaison fût seulement possible. Qu’il lui tardait qu’elle ne le fût plus !… Vingt fois, durant cette semaine d’un dernier et angoissant atermoiement, elle fut tentée de retourner chez le Père Euvrard, sûre que le vieux prêtre lui donnerait l’ordre de poser aussitôt à son mari selon le Code la question qui devait le décider à devenir son mari selon l’Église. Vingt fois, elle repoussa cette idée d’une visite qu’il faudrait ou taire à Darras, — et elle ne se le pardonnerait pas, — ou lui dire, et il ne lui pardonnerait pas d’avoir de nouveau mis un tiers entre eux. Et elle attendait, d’une attente, que rendait plus fiévreuse une totale absence de nouvelles du côté de son fils, depuis le billet, si tendre pourtant, par lequel il lui avait annoncé la mort de son père. Qu’il dût prolonger son séjour dans l’Aveyron, où il avait désormais quelques gros intérêts, elle le comprenait. Que se passait-il pour que, dans cet éloignement forcé, il n’éprouvât plus le besoin de se rapprocher d’elle par le cœur ? De courrier du matin en courrier du soir, elle attendait une lettre qui lui annonçât un prochain retour ou qui du moins lui expliquât cette absence. Le