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UN ADIEU

deux années pleines devant nous, jusqu’à ce qu’il puisse te faire des sommations.

— « Deux années ? » avait répété la mère. « Mais comment vont-elles se passer, ces deux années ? Il a une fortune maintenant. Cette fille ne lâchera pas sa dupe. »

— « J’aurais pensé comme toi avant d’avoir vu Mlle Planat. Mon sentiment de la justice m’empêche de croire, sans des preuves plus indiscutables, qu’elle soit fausse et intéressée. Je te l’ai dit tout de suite. Son regard, sa voix, son attitude, ses paroles, tout chez elle m’a étonné. Il faut avoir le courage de réformer ses jugements quand on s’est trompé, dût-on s’humilier soi-même. L’équité l’exige. Est-ce le cas ? Nous aurons bientôt une occasion de savoir très exactement à quoi nous en tenir. Cette femme a de l’influence sur Lucien, c’est certain, une immense influence… Nous verrons comme elle l’emploiera… J’ai causé avec elle. Si par hasard Lucien lui avait menti jadis sur nos intentions, elle est renseignée maintenant. Je lui ai dit ce que tu pensais et ce que je pensais. Si elle a un peu de noblesse dans sa façon de sentir, elle tiendra à honneur de ne pas laisser durer le malentendu qui a fait partir Lucien. La fortune dont tu parles a du moins un avantage : c’est un prétexte tout trouvé pour qu’il s’établisse chez lui, sans que cette vie à part constitue une rupture avec nous. »

— « Tu n’espères donc plus qu’il rentrera ? » avait-elle demandé. « Tu en paraissais si convaincu ? Tu me l’avais tant promis ?… »

— « J’en étais sûr alors… Je le suis moins, pour une raison qui doit plutôt calmer tes inquiétudes. J’ai cru qu’il reviendrait tant que j’ai été persuadé