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UN ADIEU

que cet événement avait modifié ses rapports avec sa femme, alors que son orgueil s’efforçait de ne pas l’admettre ? Pour lui, Gabrielle avait été sa femme du vivant de Chambault. Chambault mort, elle l’était toujours, dans des conditions qu’il voulait considérer comme identiques. Ce n’était pas le veuvage qui l’avait affranchie, c’était le divorce. Gabrielle, au contraire, venait, à ses propres yeux, de devenir libre par le veuvage. Elle était sortie de cette équivoque du divorce dont elle avait tant souffert ces derniers mois. Sortie ?… Pas entièrement, puisque le lien qui l’attachait à Albert n’était encore que cette union civile qui, pour sa conscience actuelle, ne comptait plus. L’idée d’être mariée enfin à cet homme qu’elle aimait tant, du seul mariage auquel elle crût maintenant, la soulevait d’une espérance si douce qu’elle en avait peur. Elle désirait si vivement obtenir de lui ce consentement qu’elle hésitait à le lui demander. Elle ne se le dissimulait pas : l’état actuel ne pouvait durer. Il fallait qu’ils s’expliquassent. Elle ne voulait pas douter du succès de sa démarche, et cependant elle la remettait… À quel moment ?… Pourquoi ?… Tous les jours, des hommes qui ne croient pas acceptent d’épouser chrétiennement une jeune fille qu’ils aiment et qui ne consentirait pas à être leur femme en dehors du sacrement. Ils ne se regardent pas comme déshonorés. Elle se tenait ce raisonnement, se démontrant qu’il en serait de même pour Darras. Puis, la connaissance qu’elle avait de ce caractère la contraignait de sentir l’incertitude de cette analogie, quand il s’agissait de lui. La perspective de la résolution à prendre, s’il n’acceptait pas de régulariser leur ménage, l’accablait à l’avance. Elle s’effor-