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UN DIVORCE

interrompit Darras. « Tu me demandes pourquoi je n’admire pas cette conception, même sans y croire ? Parce qu’elle est la négation de la conscience, précisément. Ce Sauveur, comme tu dis, c’est la victime substituée, c’est-à-dire le dogme d’injustice, s’il en fut jamais. »

— « Non, » interrompit Gabrielle avec plus de passion encore, « mais le dogme d’amour, de l’amour infini. »

— « Ne discutons pas, mon amie !… » dit Albert ; puis, après un silence, lui prenant les mains et du ton d’un reproche si tendre, si indulgent : — « Que nous étions heureux quand nous pensions de même ! Tu les regrettes pourtant, ces longues soirées où chacun de nous ne prononçait pas un mot qui n’eût son écho dans l’esprit et le cœur de l’autre, où nous nous aimions tant ?… »

— « Nous penserons de nouveau de même sur tous les points, » répondit-elle avec exaltation, « j’en suis sûre, bien sûre… Cette fois nous serons dans la vérité. Quant à t’aimer, je t’ai trop prouvé à quel point je t’aimais, et pourtant je t’aimerai plus encore, bientôt, comme je ne t’ai jamais aimé, parce qu’alors j’en aurai le droit… »

Que signifiaient exactement ces obscures paroles ? Darras eut trop peur de le comprendre. Il ne provoqua pas un commentaire que Gabrielle ne lui donna point. L’élan qui l’avait ramené vers sa femme s’était brisé. Il laissa retomber ces petites mains fiévreuses qui venaient de serrer les siennes d’une prise où il avait moins senti l’étreinte de l’amour, que celle d’une volonté résolue à en conquérir une autre. L’implacable aversion qu’il professait pour le système de croyances repré-