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UN ADIEU

— « Tu ne penses pas cela sérieusement ? Dis-moi que tu ne le penses pas. »

— « Quoi ? » fit-elle.

— « Que la présence d’un prêtre au chevet d’un mourant change quoi que ce soit au sort qui l’attend dans l’autre monde, s’il y en a un ? »

— « Mais il y en a un, mon ami, dit-elle ; tu le sais bien, qu’il y en a un !… »

— « Je ne sais rien, que ce qui est établi scientifiquement, répliqua Darras. « Mais admettons un instant que cet autre monde existe. Admettons un jugement après la mort, quoique cette idée d’une prime offerte à la vertu soit la destruction de la moralité supérieure. Ce jugement, pour être équitable, doit porter sur l’existence entière. En quoi peut-il être modifié par les gestes et les paroles d’un homme en surplis, autour d’un demi-cadavre qui garde à peine assez de connaissance pour penser et de souffle pour parler ? »

— « Il suffit qu’il puisse se repentir, » répondit Gabrielle, « et s’unir pour son sacrifice aux mérites du Sauveur… C’est toute la foi chrétienne que ce rachat des pauvres pécheurs que nous sommes, par les douleurs qu’a subies pour nous l’Homme-Dieu. Les gestes et les paroles du prêtre ne sont que le moyen du sacrement. Oh ! » continua-t-elle d’un ton exalté, « toi qui aimes tant les idées élevées, comment n’admires-tu pas du moins celle-là, même sans y croire ? Cette bonté d’en haut toujours prête à nous pardonner, quoi que nous ayons fait, pourvu que nous l’implorions au nom de ce Juste qui a voulu mourir, afin que nous vivions, et nous ne vivons que par lui !… »

— « Nous ne vivons que par notre conscience, »