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UN DIVORCE

fut en redescendant de la chambre de leur fille dans son cabinet qu’elle lui dit :

— « Je ne t’ai pas parlé à table de la lettre de M. de Jardes, à cause de Jeanne. J’ai toujours si peur qu’elle ne devine ce que nous lui avons caché, que le père de Lucien vivait quand je t’ai épousé… »

— « Ta correspondance est à toi et à toi seule, tu le sais bien… » répondit Darras.

— « Je tiens à ce que tu lises cette lettre, » insista-t-elle. « Je ne veux plus avoir fait une démarche que tu n’aies pas sue. Je t’ai vu trop souffrir de mon silence… J’ai compris à l’expression de ton visage, pendant le dîner, et depuis, que tu avais deviné quel était ce faire-part. M. de Jardes me l’a envoyé parce que je lui avais écrit mon inquiétude sur un point où je pouvais croire ma responsabilité engagée… Mais lis… »

La carte du général ne contenait que quelques mots disant à Mme Darras qu’elle trouverait dans le billet mortuaire le renseignement qu’elle désirait. Sur ce billet, en effet, la ligne relative aux sacrements était soulignée au crayon.

— « Oui, » reprit Gabrielle, « tu m’avais dit hier qu’il y avait danger. J’avais trop de raisons de penser que personne dans l’entourage de ce malheureux n’appellerait un prêtre. J’ai eu l’idée de te demander de me laisser faire cette démarche… Je n’ai pas osé. Quand j’ai appris cette mort, ce matin, j’ai tremblé… »

Elle n’acheva pas. Darras avait regardé le billet de M. de Jardes, puis la lettre de faire-part. Il regardait sa femme maintenant avec une expression d’une détresse infinie et il implora :