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UN DIVORCE

possible de cet homme avec qui elle avait vécu des années, — cinq années, presque la moitié de la durée de son présent ménage, — réveillait-elle dans sa mémoire des images qui le lui rendaient vivant ? Darras en frémit, sans se douter que les émotions subies par cette femme, désormais vouée à une inguérissable nostalgie des choses religieuses, étaient d’un tout autre ordre. Il ne les eût pas moins détestées. À cette nouvelle que cette existence si bassement traînée dans les pires désordres allait s’éteindre, la pensée de l’autre vie s’était tout d’un coup offerte à Gabrielle. Ce jugement d’outre-tombe qu’elle redoutait tant pour elle-même depuis qu’elle avait recommencé de croire, cette âme dégradée allait l’affronter, dans quelles conditions ? Distinctement, elle avait vu la chambre de l’agonisant, le malheureux se débattant sous l’étreinte du mal, son fils auprès de lui, Berthe Planat, un médecin — et pas de prêtre ! Qui donc songerait à en appeler un ! Ce ne serait pas Lucien, qui ne croyait pas ; ce ne serait pas cette étudiante dont les mœurs révélaient assez l’absence de foi. Ce ne serait pas le médecin. Ils en auraient choisi un qui avait les mêmes convictions qu’eux. Ce ne serait pas le malade. Le peu de religion qu’il avait pu avoir s’était certes usé dans sa triste vie. Il n’avait plus de proche parent pour lui rendre ce suprême service de lui assurer ce pardon que la bonté de Dieu réserve même au repentir de la dernière minute. Plus de proche parent ?… Et elle-même ?… La phrase, qu’elle avait osé dire à Darras quand son secret lui avait enfin échappé, n’était pas le cri de surprise d’une exaltation passagère. Devant ce Dieu, dont personne ne rappellerait la redoutable