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L’IMPRÉVU

— « Il faut lui rendre la justice qu’elle paraît le soigner avec beaucoup d’intelligence et de dévouement… J’ai causé avec elle, » reprit-il après un silence d’un instant. « Ah ! ma pauvre amie, si j’avais été injuste cependant ?… »

— « Que veux-tu dire ? » demanda Gabrielle.

— « Que je l’ai trouvée bien différente de ce que j’attendais. Elle a montré, dans ces quelques minutes, une intelligence, une fermeté, une netteté… Enfin, il faut attendre l’enquête que l’on fait pour moi au ministère. »

— « Et toi aussi, tu vas prendre son parti, tourner, m’abandonner ?… » gémit la mère. « Est-ce possible ? Ne me dis pas que tu consentiras jamais à ce mariage, Albert. Ce n’est pas vrai… S’il se fait, quelle épreuve pour moi ! quelle expiation !

— « Il ne se fera pas maintenant, en tout cas, » interrompit Darras. « Je rapporte de ma visite l’impression que le malade a bien peu de jours à vivre, peut-être quelques heures… Qu’il meure cette semaine, et son consentement n’est plus valable. Tout alors dépendra de toi. »

— « Quelques heures, » répéta Gabrielle. « Est-ce possible ?… »

Elle avait mis dans cette exclamation tant de sérieux triste, une si douloureuse épouvante avait passé dans ses yeux, que Darras laissa tomber la conversation. Il avait cru saisir un signe nouveau de l’indestructible durée du premier mariage à travers et malgré le second. Il avait suffi que cet abject Chambault fût en danger pour que son fils retrouvât en lui les plus chaudes tendresses de sa lointaine enfance à l’égard de ce père déchu ! En était-il ainsi pour Gabrielle ? L’idée de la mort