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UN DIVORCE

à travers les étroitesses de certaines de ses idées, pour ne pas s’incliner devant ce foudroyant renouveau de piété filiale. Cependant c’était, des divers sentiments constatés chez le jeune homme durant cette funeste semaine, celui qui lui répugnait le plus intimement, le plus absolument. À ce trouble se mélangeaient, pour l’accroître, ses doutes grandissants sur l’équité des procédés qu’il avait employés vis-à-vis de Berthe Planat. Il n’avait hésité devant aucun coup à lui porter, tant qu’il l’avait crue une dangereuse intrigante. L’était-elle vraiment ? La conversation qu’elle venait de soutenir avec lui le poursuivait d’une espèce de remords à mesure qu’il s’éloignait du théâtre de cette bouleversante rencontre… Il la revoyait, et son regard si droit, si perçant. Il l’entendait, et sa voix si franche… Si pourtant il s’était trompé sur elle et que Lucien eût raison ?… Sa loyauté ne se fût point pardonné de cacher à Gabrielle cet ébranlement d’une conviction qui n’était plus entière, et ce fut l’un de ses premiers mots, quand, rentré à la maison de la rue du Luxembourg, il la trouva qui l’attendait toute fiévreuse. Elle l’avait guetté par la fenêtre et se précipitait au-devant de lui à mi-chemin de l’escalier :

— « Tu l’as vu ? » interrogea-t-elle. « Qu’a-t-il répondu ? Retire-t-il son consentement ?… Parle. Mais parle vite… »

— « Je ne l’ai pas vu, » répondit-il, « son état est trop grave. Mais j’ai vu Lucien. »

— « Mon Dieu ! Et que vous êtes-vous dit ? »

— « Rien. Il a fait celui qui ne me reconnaissait pas. J’ai vu aussi Mlle Planat. »

— « Berthe Planat ?… Lucien a osé installer Berthe Planat au chevet de son père ?… »