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UN DIVORCE

visite. Comme il se conduira, je me conduirai… » L’intuition de l’étudiante ne l’avait pas trompée. La voix de Lucien se faisait entendre dans l’antichambre. Il interrogeait le domestique qui lui ouvrit la porte du salon. Il vit celui qu’il avait si longtemps appelé son père, et celle qu’il appelait sa fiancée, l’un auprès de l’autre, les yeux encore brillants, les traits encore bouleversés de ce rapide et tragique dialogue. Il esquissa un geste d’une surprise qui aurait dû aussitôt, après la discussion qui avait provoqué son départ de la maison maternelle, se changer en une fureur agressive. À peine s’il regarda l’insulteur de son amie, qui avait osé la poursuivre et le poursuivre, même ici. L’anxiété dont il était dévoré fut plus forte que le sursaut de sa rancune. Il marcha droit sur Berthe, et comme s’il n’eût pas aperçu Darras :

— « Hé bien ? » demanda-t-il. « Comment s’est passée cette heure ? A-t-il eu une autre crise ? »

— « Il n’en a pas eu, » répondit-elle. « L’oppression est très grande, mais il a sa pleine connaissance. »

— « Louvet me suit, » reprit le jeune homme, « je l’ai trouvé à sa consultation. Elle finissait. J’ai prévenu l’autre docteur. Ils seront là avant vingt minutes… Lui avez-vous fait l’injection de morphine ? »

— « Oui, » répondit Berthe, « et j’ai appliqué les ventouses. Que pense Louvet ? Lui avez-vous expliqué le cas comme je vous l’avais dit ? »

— « Mot pour mot. Il croit que cette nuit sera très critique, mais naturellement il ne peut pas se prononcer sans avoir vu… Je vais près du malade… Il est seul ? »