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UN DIVORCE

sépare pas un fils de sa mère, et pour toujours. C’est trop coupable. »

— « Ce n’est pas moi qui les ai séparés, — interrompit Berthe vivement ; elle répéta : — « Ce n’est pas moi… Moi, non plus, je n’ai pas cherché cette rencontre, qui m’est plus pénible encore qu’à vous, monsieur. Il vaut peut-être mieux en effet qu’elle se soit produite et que vous m’ayez parlé d’une manière qui m’autorise à ne rien ménager… Descendez en vous-même et demandez-vous si, moi partie de sa vie, Lucien vous reviendrait, à vous et à sa mère ; s’il serait vraiment uni de cœur avec vous ? Monsieur Darras, vous savez trop que non. Vous savez que c’est vrai, ce que je vous dis là, que c’est vrai… J’ai bien réfléchi, ces derniers jours, je vous assure, j’ai bien regardé Lucien. Je l’aime. Ah ! profondément, passionnément… Mais, si je croyais qu’il dût être heureux par le sacrifice de cet amour, j’aurais la force de l’accomplir, et de le quitter, pour lui. J’ai voulu le faire, et j’ai compris que je ne devais pas le faire, parce qu’il n’a que moi… Cette famille de Lucien dont vous me parlez, où est-elle ? Chez vous ? Pourquoi court-il Paris alors, fou d’inquiétude, à cause de cet homme qui agonise dans cette chambre ? Il y a trois jours, il croyait que cet homme ne lui était plus rien. C’était son père, avec tous les droits du père, vous en êtes convenu vous-même, de par la loi, et, l’angoisse de son fils le prouve, de par la nature. Quand on a deux familles, on n’en a pas ; et il n’en a pas… Vous savez que c’est vrai encore et que ce n’est pas moi qui en suis la cause. Je m’en irais, qu’il vous en voudrait seulement davantage de l’avoir privé du seul cœur qui soit tout à lui. Car il est tout à lui, sans par-