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L’IMPRÉVU

ni ma femme ni moi, nous ne vous verrons. Jamais, vous ne serez de notre famille. Jamais, entendez-Vous. Jamais. Vous en aurez fait sortir Lucien, vous n’y serez pas entrée. »

— « Lucien ne m’avait rien caché, monsieur, » répliqua-t-elle plus douloureusement encore. « Je savais votre opinion sur moi, et celle de Mme Darras… Je n’essaierai pas de la changer… Je sais aussi par Lucien que vous avez le culte, la religion de la justice. Vous êtes cependant injuste en ce moment, bien injuste. Mais il m’est impossible de vous le démontrer… Je ne l’essaierai pas, » insista-t-elle, comme accablée et en secouant la tête. « Il y a cependant une de vos affirmations contre laquelle je veux avoir protesté. Non, l’idée de ce mariage n’est pas venue de moi. Non. Je n’ai pas médité d’entrer dans votre famille… Cela, vous auriez pu l’apprendre en interrogeant Lucien… Mais, c’est vrai, vous ne le croiriez pas, même lui. Vous supposeriez que je lui ai joué une comédie… Ah ! comment prouver que je ne mens pas ?… »

— « En renonçant à ce mariage, tout simplement, » répondit Darras. — De plus en plus, à mesure qu’avançait cet étrange entretien, la véracité de son interlocutrice s’imposait à lui. Cette évidence aurait dû, dans la logique de ses principes, désarmer l’énergie de son opposition. Le grand bourgeois français qu’il était resté, malgré ses théories, n’apercevait au contraire, dans cette bonne foi possible de l’amie de son beau-fils, qu’un moyen de séparer les deux jeunes gens. — « Oui, » insista-t-il, « si vous me dites la vérité, agissez en conséquence. Si cette idée de mariage n’est pas venue de vous, elle doit vous faire horreur maintenant. On ne