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UN DIVORCE

— « Malgré moi ?… » répéta-t-elle. « Vous m’accusez maintenant de cette infamie ?… De quel droit ?… Les autres choses, celles que vous avez dites à Lucien, vous pouviez croire que je les méritais !… Mais celle-là ?… Restez, monsieur, c’est moi qui veux que vous restiez, jusqu’à ce que le docteur soit ici. Vous lui demanderez, à lui-même, de voir le malade. Qu’il vous le permette, sous sa responsabilité !… Moi, je ne peux pas. Vous m’outrageriez plus cruellement encore que ma conscience médicale me ferait vous répondre : « Non, vous ne verrez pas M. de Chambault en ce moment… » Seulement, il est affreux d’être jugée ainsi, quand on ne fait que son devoir !… »

— « Et comment voulez-vous que je vous juge autrement ? » s’écria Darras, L’accent de la jeune fille trahissait une si intense souffrance, une telle sincérité, et si blessée, que le point de doute avait été touché en lui. Il n’en mit que plus d’âpreté à continuer : — « Vous parlez de conscience médicale. On n’a pas de conscience dans un métier quand on n’en a pas dans sa vie… Oui ou non, Lucien a-t-il fait ce que j’ai dit ?… Oui ou non, l’a-t il fait avec votre assentiment ? Qui sait ? avec votre conseil ?… Oui ou non, vous préparez-vous à entrer de force dans une famille qui ne veut pas de vous, et qui a des raisons trop légitimes pour ne pas en vouloir ?… Je n’ai pas cherché cette rencontre ; mais, puisque le hasard nous a mis en présence l’un de l’autre, je vous aurai du moins dit ce que Lucien vous a sans doute caché, notre résolution définitive, irrévocable, à ma femme et à moi. Vous réussirez peut-être à épouser Lucien, quoique je sois décidé à tout pour l’empêcher. Oui, à tout. Mais jamais,