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L’IMPASSE

J’ai été très pieuse quand j’étais jeune. Puis, j’ai cessé de l’être. J’ai eu des doutes. Il m’a semblé que je ne croyais plus. Voici douze ans que je ne pratique pas… Je dis qu’il m’a semblé, car je n’ai jamais méconnu la bienfaisance de la religion. La preuve en est qu’ayant eu une fille, j’ai voulu qu’elle fût baptisée. Ce n’a pas été sans lutte… L’enfant a grandi. Elle a onze ans. Elle va faire sa première communion… »

Elle s’arrêta, comme si, arrivée à un ordre d’idées plus intime, elle ne trouvait pas bien ses mots. Cet embarras, le caractère de ce début, si détourné, si hésitant, le rapport entre la naissance de l’enfant et la date où la mère s’était éloignée des sacrements, autant d’indices qui se raccordaient trop bien à l’hypothèse déjà construite dans l’esprit de M. Euvrard. Cette femme était mariée. Elle l’avait dit elle-même. Elle avait commis une faute. Son enfant n’était pas du mari. Son allusion aux prêtres qui éloignaient les âmes de Dieu venait sans doute d’avoir rencontré un confesseur trop sévère. M. Euvrard se crut habile en essayant de lui faciliter le pénible aveu :

— « Votre fille vous devra le salut de son âme, » dit-il, « et d’avoir sauvé une âme efface bien des fautes, surtout quand ces fautes peuvent avoir eu, sinon pour excuse, au moins pour explication, un entraînement. Reprenez courage, madame… »

À mesure qu’il parlait, une rougeur montait aux joues de l’inconnue. Le pauvre Oratorien se sentit rougir lui-même. À l’éclair de fierté allumé dans le regard de sa visiteuse, il venait de comprendre qu’il se trompait sur le caractère de sa démarche. Non, elle n’était pas l’héroïne repentante d’une