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L’IMPRÉVU

résultat immédiat d’exaspérer l’aversion si profonde de Darras. Il lui était impossible de rien trouver à reprendre dans cette altitude de la jeune fille, à la fois digne et polie, distante et cependant courtoise. Mais cette force d’hypocrisie n’était-elle pas précisément la cause de la perdition du malheureux Lucien ? Aussi fut-ce d’un ton sarcastique, presque haineux, qu’il répondit :

— « Il est très malheureux pour nous tous, mademoiselle, que ces raisons professionnelles se trouvent coïncider d’une façon si étonnante avec des raisons d’intérêt personnel. »

— « Je ne vous comprends pas, monsieur, » dit Berthe. Un flot de sang lui était monté aux joues, mais son regard demeurait si ferme que son interlocuteur en éprouva la sorte de révolte qui nous saisit devant certaines audaces de dénégation trop imprudentes. Il voulut confondre l’intrigante avec l’indiscutable vérité des faits et il reprit, brutalement :

— Vous me comprenez parfaitement, et vous savez très bien pourquoi je suis ici… Mais pour faire cesser toute équivoque, je vais préciser à mon tour : mon beau-fils, Lucien de Chambault, veut vous épouser. Il a demandé son consentement à ma femme, qui l’a refusé, et, profitant d’un article de loi mal fait, il compte passer outre, grâce au consentement de son père. Je suis venu savoir si ce père a été vraiment instruit des raisons qui ont dicté le refus de Mme Darras. J’avais tout lieu d’en douter. Je suis très sûr maintenant qu’il ne l’a pas été. Vous me le prouvez trop en m’empêchant d’arriver jusqu’à lui. Je saurai trouver le moyen de l’avertir, malgré vous… »