Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
UN DIVORCE

ment que possible l’objet de votre visite. M. de Chambault est trop malade pour que je puisse le laisser seul longtemps. En attendant le retour de son fils, il n’a que moi auprès de lui. »

— « Je le sais, mademoiselle, » répondit Darras agressivement. « Le domestique est même venu me dire que M. de Chambault avait désiré me recevoir et que vous aviez pris sur vous de vous y opposer. »

— « Je n’ai rien pris sur moi, monsieur, » répliqua Berthe avec sa fermeté douce. « Ma volonté ne compte pas, n’existe pas. Le médecin qui traite le malade a recommandé instamment que toutes les émotions lui fussent évitées. Il en a éprouvé une et très forte, rien qu’à la lecture de votre nom sur votre carte. Mon devoir professionnel le plus strict était, dans ces conditions, d’interdire votre visite. M. de Chambault est atteint, depuis plusieurs semaines, d’une cirrhose alcoolique du foie. Il a eu samedi un refroidissement et il fait une pneumonie lobaire. Il en est au troisième jour, le plus critique. Il souffre horriblement pour parler. Il a déjà eu quelques absences et il est sous le coup d’un délire qui risquerait de l’emporter. Ces accidents nerveux sont, dans son état, d’une extrême gravité. Jugez vous-même si, professionnellement, je le répète, je pouvais autoriser cet entretien. »

Elle avait parlé d’une voix nette, affectant d’employer des termes d’une extrême précision technique, comme si, au lieu de s’adresser au beau-père hostile de son fiancé, à un adversaire mêlé d’une si dangereuse façon au drame de sa vie, elle eût formulé un diagnostic devant un des lits de l’ Hôtel-Dieu, parmi des étudiants attentifs, dans le service du professeur Louvet. Cette maîtrise de soi eut pour