Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
L’IMPRÉVU

firmière, qu’elle avait passée par-dessus son corsage, pour vaquer à sa besogne, accentuait encore le caractère presque trop grave de ce joli visage, pâli par l’étude et qu’encadraient, comme alors, les masses de ses cheveux châtains, séparés en deux bandeaux plats et toujours noués par derrière en un épais catogan. Ses prunelles brunes avaient leur même regard, droit et froid dans son insistance attentive, sous lequel les yeux de Darras avaient dû plier, lors de cette première rencontre, — un vrai regard de clinicien, calme, pénétrant, celui d’un esprit qui ramasse toutes ses forces pour y voir très clair et conformer son activité au fait, sans aucun autre souci. Berthe était cependant bien émue à cette minute. La remise de la carte de Darras au malade avait provoqué chez celui-ci une immédiate excitation, qui l’avait épouvantée plus encore que la menaçante énigme de cette visite. Quand le valet de chambre était revenu, rapportant cette même carte et la demandant, elle, son geste instinctif avait été celui du refus. Puis elle s’était levée pour suivre le domestique. Elle n’avait pas voulu que le beau-père de Lucien crût qu’elle avait peur de cette entrevue. Pourquoi l’éviter ? Sa conscience ne lui reprochait rien vis-à-vis de cet homme, dont elle avait au contraire tant à se plaindre ! Si son cœur battait très fort en entrant dans le salon, elle gardait sur son front, autour de sa bouche, dans ses yeux, cet air de fierté, si souvent opposé, depuis ces cinq ans, à l’ostracisme de ceux qui savaient son histoire, et qui la méconnaissaient. Ce fut elle qui dit la première :

— « Vous avez demandé à me voir, monsieur. Je vous prierai seulement de me dire aussi briève-