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UN DIVORCE

droit, était-ce l’instant d’engager avec elle la négociation qu’il avait entrevue comme un des moyens possibles d’en finir ? Et si ce n’était pas pour en arriver à ce hideux mais nécessaire marchandage, quel était le sens de cette demande d’entretien ?… Le sens ?… Mais c’était surtout, c’était simplement de se trouver enfin face à face avec son ennemie. Il saurait avec exactitude ce qu’elle voulait et jusqu’à quel point elle le voulait. Et puis Darras subissait, sans s’en rendre compte, la suggestion du sentiment que son beau-fils éprouvait pour cette femme. Pas plus que Lucien n’avait pu mépriser tout à fait son opinion lors de leur premier conflit, il ne pouvait, lui, mépriser tout à fait l’opinion du jeune homme. Ils s’étaient trop habitués à s’estimer l’un l’autre. Le beau-père était bien persuadé que Berthe était une coquine. Pourtant, au fond de lui, l’opinion de son beau-fils sur elle ne le laissait pas aussi calme, aussi établi dans sa certitude que le supposait l’implacable énergie avec laquelle il avait conduit cette affaire. Il n’y avait là qu’un très petit point de doute, imperceptible à lui-même. Ce point suffisait pour que cette conscience, passionnément éprise de vérité, subît un obscur malaise, qui se changea en une irritation, toute voisine de la colère, lorsque, le valet de chambre ayant reparu et l’ayant fait entrer dans le salon pour y attendre la personne qu’il avait demandée et qui allait venir, il vit arriver Mlle Planat.

C’était bien elle, avec cette silhouette fine et cette physionomie si à part des autres, qui l’avaient tant frappé quand il l’avait vue assise dans la crémerie de la rue Racine à côté de Lucien. La blouse d’in-