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L’IMPRÉVU

et d’énergie ? C’est la question que Darras ne put s’empêcher de se poser devant la mine effarée du valet de chambre qui vint ouvrir à son coup de sonnette. Raison de plus pour insister, et, s’il étail possible, arracher le désaveu écrit de l’autorisation donnée. En admettant, ce qu’il avait négligé de vérifier, que Lucien eût déjà fait afficher à la mairie le premier acte de publication de son mariage, la célébration n’en pouvait avoir lieu que dans onze ou douze jours. D’ici là, l’état du père pouvait empirer. Darras vint à bout des scrupules du domestique en disant qu’il était envoyé par M. Mounier, le notaire, pour une affaire très urgente, et il obtint que cet homme allât porter sa carte. Les cinq minutes passées seul dans cette antichambre à attendre la réponse furent poignantes pour lui. Trop de révélations étaient partout éparses sur le caractère et les mœurs de celui dont dépendrait peut-être l’avenir de son ménage, après qu’il avait été si tristement mêlé à son passé. Ce n’était pourtant que la banale entrée de l’appartement d’un célibataire riche, avec ce luxe un peu étalé des viveurs d’aujourd’hui. Mais justement ces traces d’une existence d’homme de plaisir causaient une horreur presque physique au puritain que restait Darras. Deux tableaux d’une nudité vaguement galante étaient pendus des deux côtés de la porte. Deux panneaux formés par de longues glaces anciennes leur faisaient face et réfléchissaient les taches roses des chairs peintes sur les toiles. Il y avait aussi, sur les murs, plusieurs programmes de fêtes sportives ou autres, soigneusement encadrés, comme si les falotes images dessinées et coloriées dont s’illustrait la liste des divertissements promis