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L’IMPRÉVU

est évidemment, et nous n’aurions point su comment parer le coup. N’en doute pas. Il a soupçonné la vérité et il est venu nous indiquer, dans la mesure où il pouvait le faire, le moyen d’agir. »

— « Tu as peut-être raison, » dit-elle. Et, avec une tendresse où il la retrouva, telle qui l’avait longtemps connue, aimante, abandonnée et si à lui : — « Ah ! mon Albert, cours en finir, cours le sauver, et moi, » ajouta-t-elle à voix basse, « moi, pardonne-moi… »

Cet adieu de Gabrielle avait fait courir dans le cœur de Darras comme un flot si chaud et si fort, il avait cru y trouver la preuve d’un tel retour à lui, que ce réconfort le soutint tout le temps qu’il mit à franchir la distance de la rue du Luxembourg à la place François Ier, où habitait Chambault. L’amertume de cette visite venait de lui être soudain voilée jusqu’à lui être rendue douce par ce cri d’amour après ces quatre journées d’un horrible silence. Il ne comprenait qu’une chose : sa femme, sa chère femme lui appartenait de nouveau tout entière. Ce pardon qu’elle lui avait demandé, c’était le désaveu de sa folie de ces derniers jours, le signe qu’elle allait rentrer, qu’elle était déjà rentrée dans la vérité de leur ménage. Qu’Albert réussît dans sa démarche actuelle, et la crise serait conjurée ! Bien loin de voir dans la suite des derniers événements l’action d’un châtiment providentiel exercée contre leur foyer, elle y verrait, comme il le lui avait dit, le jeu d’un hasard finalement favorable. Ce serait à lui, quand il l’aurait reprise, de ne plus laisser le fatal poison dominer cette sensibilité souffrante. Cette fièvre d’espérance