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UN DIVORCE

Je n’ai pas le droit d’invoquer d’autres arguments. Cependant, monsieur votre fils étant devenu mon client par le seul fait que son père me l’a adressé, je me crois autorisé, au nom de son avenir, à souhaiter qu’il n’entre pas dans la vie conjugale avec ce froissement très dur pour un jeune ménage… C’est tout le sens d’une démarche dont M. Darras voudra bien m’excuser… »

La mère avait écouté ce discours sans prononcer une parole. Ses yeux fixés sur son mari avaient tour à tour exprimé les divers sentiments qui se succédaient dans son âme : l’étonnement, quand M. Mounier avait déclaré son indépendance vis-à-vis de ce mari pour le consentement à donner ou à refuser ; sa terreur d’apprendre que vraiment et d’après le Code sa volonté à elle ne comptait pour rien devant celle du vrai père ; toute la douleur de l’affection méconnue, quand elle avait su que Lucien avait fait appel à ce vrai père, après tout ce qu’il savait de leur divorce et de ses causes ; le saisissement à la nouvelle de la grave maladie du misérable dont sa jeunesse avait été la victime ; une véritable indignation à l’idée qu’il osât lui adresser un message, fût-ce de son lit de mort. Elle avait pu voir que des émotions bien analogues passaient dans le regard de Darras. La physionomie du second mari s’était seulement assombrie davantage lorsque le notaire avait parlé de cet indestructible caractère qu’avait jadis la famille, et de l’incohérente manière dont les lois se font et se défont dans notre actuelle anarchie. Il répondit pourtant d’une voix calme, celle d’un homme qui veut arriver vite à une conclusion positive :

— « Nous n’avons pas à vous excuser, monsieur,