Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
215
SILENCES

la discussion avec Lucien, un incident très inattendu la rappela soudain à la réalité brutale de sa situation vis-à-vis de son fils. Une lettre lui fut remise dans son courrier de neuf heures, d’une écriture inconnue et frappée d’un cachet dont la vue la fit trembler de la tête aux pieds. Elle y avait lu le nom d’une des grandes études de Paris dont le titulaire était le notaire de M. de Chambault, maître Mounier. Son émotion fut si violente qu’elle eut de la peine à déchirer l’enveloppe. Le notaire demandait simplement la permission de se présenter, ce mardi même, à une heure et demie, pour entretenir Mme Darras d’une très importante affaire. Gabrielle ne s’y trompa point une seconde. Elle courut dans le cabinet de son mari, cette lettre à la main. Elle était si pâle qu’il prit peur, et, oubliant ses griefs de ces derniers jours, il la saisit dans ses bras d’un mouvement spontané où il n’y avait plus que son amour :

— « Tiens !… » gémit-elle, en se serrant, elle aussi, contre lui et lui donnant la lettre. « Regarde !… C’est de Lucien qu’il s’agit, de ce mariage… Tu t’étais trompé, et moi, j’avais deviné juste. Il est allé demander son consentement à… »

Elle s’arrêta. Le nom de M. de Chambault lui était trop dur à prononcer, dans cette minute de suprême indignation contre la démarche, pour elle bien insultante, qu’avait osée son fils. Le mouvement de mystique espérance qui l’avait soulevée l’avant-veille et la veille se tournait en une épouvante du même ordre. Le châtiment d’en haut était là, de nouveau, comme avait dit l’Oratorien, « sortant de la faute ». Son premier mari reparaissait dans sa vie, au cœur même du second