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SILENCES

Combien de temps se serait maintenu un état cruellement pénible pour tous les deux, mais qui, du moins, ne créait pas de faits nouveaux ? Ce n’est point par des jours, c’est par des semaines, c’est par des mois que se mesurent des crises pareilles, et précisément dans des ménages comme celui-là, où ni l’un ni l’autre des époux n’a de véritable tort. Du côté de Gabrielle, le besoin de se meurtrir le cœur, de racheter, d’expier ses années d’un bonheur défendu, — l’orgueil froissé du mari, du côté d’Albert, et sa véritable haine pour les idées religieuses de sa femme risquaient de prolonger indéfiniment cette meurtrière attente. Une attente ? Ni lui ni elle n’auraient su dire de quoi… Au samedi avait succédé le dimanche, sans autre événement que le départ de Gabrielle pour la messe avec Jeanne, et elle avait pu, du trottoir de la rue du Luxembourg, en se retournant, voir la silhouette de Darras se dessiner derrière une fenêtre de leur maison. Il regardait s’en aller du côté de l’église, — de la citadelle hostile, — sa femme et sa fille, sa fille et sa femme, tout ce qu’il aimait ici-bas, et l’honneur lui ordonnait de ne pas s’opposer à des pratiques qui avaient déjà mortellement frappé son ménage. Gabrielle avait senti ce regard peser sur elle et la poursuivre jusque dans son agenouillement devant l’autel. Là, une coïncidence où elle avait été tout près de voir un encouragement presque surnaturel l’avait pourtant réconfortée. Elle avait l’habitude, familière aux personnes qui sont restées longtemps sans assister aux offices, de chercher surtout, dans son livre de messe, les Épîtres et les Évangiles. Elle lisait d’abord ceux du jour, puis ceux des jours précédents et suivants.