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UN DIVORCE

par le passé. Il ne lui avait pas pardonné. Il ne lui pardonnerait pas. Raison de plus pour ne pas mécontenter davantage cet homme indignement blessé. Elle savait combien il tenait à ce qu’elle remplît strictement ses moindres obligations de femme du monde. C’était le samedi, le jour où elle recevait. Elle voulut considérer comme des devoirs tous les préparatifs, ordinairement fastidieux pour elle, de cette corvée : parer de fleurs son salon, commander le détail du goûter, s’habiller. Les heures de cette journée se passèrent ainsi, et, pour la première fois depuis leur mariage, Gabrielle éprouva un soulagement à tromper ainsi par des occupations matérielles, puis, durant sa réception, par des bavardages insignifiants, la fièvre intérieure. Ils devaient dîner hors de chez eux, ce qui lui fut un soulagement encore, et peut-être cette détente de ses nerfs par la distraction forcée eût-elle abouti à une effusion au retour, si, durant ce dîner, offert à un ministre par un sénateur de la Gauche, elle n’eût entendu, à travers la table, malgré le brouhaha du service et des conversations, Darras s’exprimer, sur les périls de l’enseignement congréganiste, avec une âcreté où perçait l’amertume d’une rancune personnelle. Il ne put s’empêcher de la regarder après avoir parlé. Il vit qu’elle l’avait entendu. Il en résulta que leur rentrée en coupé, le soir, fut aussi taciturne que l’avait été la précédente veillée, plus encore, puisque au bonsoir échangé sur le seuil de la chambre à coucher et avant de se séparer pour la nuit, le mari ne prononça pas les mots de tendre reproche sur lesquels il l’avait quittée vingt-quatre heures auparavant… Le silence s’était épaissi entre eux…