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SILENCES

table au chevet. Ce rite d’une chère et vieille intimité leur fit mal à tous deux par le contraste, de nouveau rendu trop palpable, entre ce qui avait été et ce qui était. De nouveau, chacun vit distinctement l’autre sentir comme lui-même… Mais parler tout haut de semblables émotions, est-ce possible ? Et, d’un tacite accord, ils bornèrent ce premier entretien au point sur lequel ils étaient sûrs de s’entendre :

— « Il est probable que Lucien enverra, comme l’autre jour, chercher quelques vêtements, » dit Darras, « je serais assez d’avis que tu voies toi-même le commissionnaire, si je n’y étais pas. »

— « Pourquoi ? » interrogea-t-elle.

— « Pour savoir exactement son adresse. Je le connais. Il est trop fier pour se cacher. Il n’aura donné aucun ordre à cet homme dans ce sens. Il est important que nous puissions lui faire tenir sa pension à la fin du mois, si, d’ici là, comme il est possible, mon plan n’a pas tout à fait réussi encore. Ce n’est rien, ces trois cents francs par mois, c’est de quoi vivre sans s’exaspérer. C’est surtout une preuve que sa place reste libre auprès de nous… Encore une fois, je n’en parle que par précaution. Je crois que, d’ici là, les choses seront rentrées dans l’ordre… »

Le merci ému que Gabrielle prononça une fois de plus parut refermer le cœur du beau-père au lieu de l’ouvrir, car il sortit presque aussitôt de la chambre. Heureusement pour elle, une très humble, mais très précise nécessité d’agir empêcha la mère de s’enfoncer trop avant dans ces réflexions sur le visible changement de son mari à l’égard de son fils : Darras allait s’occuper du jeune homme avec autant de dévouement et de délicatesse que