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UN DIVORCE

lui une personne du monde, prise dans quelque aventure de passion. Homme d’étude et de cabinet, ayant à peine exercé le ministère depuis qu’à sa sortie de l’École polytechnique il était entré en religion, la perspective de jouer un rôle de conseiller dans une histoire si étrangère au train accoutumé. de sa pensée le désorientait déjà. Cependant comme il était prêtre, et bon prêtre, ce manque de charité lui fit honte. Il avait eu, pour débarrasser de ses papiers son unique fauteuil, un mouvement de véritable impatience, qu’il justifia de son mieux. Il rejeta cette gêne sur l’état de désordre où se trouvait la pièce. Son déménagement remontait à deux semaines, et il n’avait pas encore rangé ses livres posés par tas sur les planches de bois blanc qui garnissaient les murs, entre des liasses de notes et des cartons. Un tapis d’occasion couvrait une partie du carreau. Quatre chaises de paille, un bureau d’angle, un prie-Dieu achevaient le mobilier de cette cellule. Deux fenêtres l’éclairaient, auxquelles le savant avait cloué de ses mains et de guingois des rideaux de vitrage achetés tout faits et trop courts. Le marbre de la cheminée sans feu supportait, près d’une lampe à esprit-de-vin, une casserole, un filtre en terre et les débris du déjeuner : deux œufs à la coque et une tasse de café. L’hôte de ce pauvre campement préparait lui-même ses repas, avec un stoïcisme dont témoignait le tableau noir posé sur son chevalet entre les croisées et couvert de griffonnages cabalistiques, son opium intellectuel. Il les montrait du geste en avançant le siège, et il disait :

— « Je rougis, madame, de vous recevoir dans un taudis pareil. Mais puisque vous connaissez