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SILENCES

l’inconduite de cette femme lui fût prouvée, il romprait. Ces preuves seraient suffisantes, à la condition d’être vraiment indiscutables. Le seraient-elles ?… Gabrielle, comme son mari encore, se dit que oui. D’ailleurs, Albert avait peut-être imaginé un autre procédé. Les possibilités d’une action directe, dans la circonstance, étaient si restreintes qu’un esprit réaliste les eût bien vite épuisées. Quelle connaissance de la réalité avait cette femme, si soigneusement préservée, depuis des années, de tout contact avec la vie ? Les mots vagues de « conseil judiciaire », d’« interdiction », se présentèrent à sa pensée. Elle les admit, sans les creuser, comme d’autres chances de réussite. Que lui importait le détail d’un effort dont elle était certaine qu’il serait dévoué, loyal et heureux, du moment qu’il était conçu et exécuté par ce courageux et intelligent Albert ? Non. Ce mariage de son fils n’aurait pas lieu… Elle se tendit, elle aussi, à redoubler en elle cette certitude. Seulement Darras s’était bien trompé dans son calcul : la mère ne trouva dans cette probabilité de succès qu’un aliment nouveau à cette ardeur religieuse dont il avait rêvé d’éteindre la flamme. Entre la scène avec Lucien et le départ de Darras, un fait s’était produit : elle avait parlé, — parlé, c’est-à-dire obéi au Père Euvrard. Aussitôt, une éclaircie avait apparu sur son horizon, dans le moment où il était le plus noir. Gabrielle se rappela soudain la formule : « Vous pouvez mériter… » Le prudent Oratorien avait accompagné ce mot d’une réserve, il avait ajouté : « Dans un certain sens… », pour souligner ainsi la différence que la théologie catholique, si rigide à la fois et si humaine, a toujours faite