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UN DIVORCE

laisserait pas expulser ainsi de son bonheur, il ne céderait pas à cette Église d’imposture cette âme à lui, son trésor de tant d’années, sans avoir lutté. Il lutterait et il vaincrait. Cette confiance qu’il avait jouée tout à l’heure pour l’inspirer à Gabrielle, il acheva de se la suggérer réellement par l’énergie avec laquelle il se répéta : « Je vaincrai ; » et, son collègue Delaître, celui qui avait dû prendre Lucien comme compagnon dans son voyage autour du monde, étant entré dans son cabinet, il lui dit, avec la plus absolue bonne foi :

— « Mon beau-fils n’achève pas de se décider ; mais, dans huit jours, j’espère que je vous rendrai une réponse définitive et que vous l’emmènerez… »

Tandis que l’optimisme systématique de Darras escomptait ainsi par avance le résultat si douteux de ses démarches au Ministère de l’Intérieur, un travail parallèle d’espérance s’accomplissait dans l’esprit de sa femme, et pour aboutir au résultat précisément contraire à l’attente du mari. Il voyait, lui, dans cette démarche, un acheminement vers la rupture du projet de mariage formé par Lucien, et, cette rupture, croyait-il, guérirait complètement les malaises de conscience que venait de lui révéler Gabrielle. Celle-ci avait bien pensé, quand Albert lui avait parlé en la quittant avec cette assurance, qu’il se proposait de provoquer une enquête plus complète sur Mlle Planat. Une fois seule, elle était restée longtemps à méditer sur l’issue, et elle avait trouvé dans ses réflexions de nouvelles raisons de se rassurer. Elle raisonnait comme Darras, d’après les protestations d’estime que Lucien avait opposées à sa malheureuse phrase sur l’étudiante. Que