Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
SILENCES

fier aussi d’avoir, dans le divorce, fondé un foyer, égal aux plus religieux par la fusion des âmes, la fidélité réciproque, l’intégrité du scrupule moral, et voici que ce foyer ne suffisait pas à sa femme, qu’elle en méconnaissait la qualité, qu’elle le reniait, quoi qu’elle eût dit. Y a-t-il un reniement pire que le remords ? Cet homme si volontaire, qui avait réalisé, les unes après les autres, les plus difficiles ambitions de sa jeunesse, à force d’intelligence et de patience, ne souffrait pas seulement dans ce double échec de ses deux plus chères idées. Il était resté amoureux de Gabrielle, et si l’âge et l’accoutumance avaient assagi la juvénile exaltation de cet amour, rien n’en avait diminué l’exclusivisme passionné. De découvrir que cette âme de femme n’était plus tout entière à lui ; que des idées et des sentiments si intimes, si profonds, si contraires aux siens, y avaient grandi, à son insu, le secouait d’un frisson de révolte et de douleur. C’était un élancement de jalousie, aussi aigu, aussi perçant que celui dont il eût tressailli devant la preuve d’une perfidie d’un autre ordre. Il voyait Gabrielle agenouillée, telle qu’il l’avait surprise, quand il avait traîné Lucien dans le petit salon. Cette pensée l’inondait d’une amertume inexprimable. Elle n’offensait pas uniquement l’époux. Elle allait blesser en lui le fanatique à rebours, le doctrinaire intransigeant pour qui le catholicisme avait toujours été la grande erreur nationale, le virus séculaire à définitivement éliminer Avait-il eu assez raison de détester comme un être, comme une personne, cette religion toujours agissante, toujours prête à surgir entre ceux qui s’en croient le plus complètement affranchis !… Mais il ne se