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UN DIVORCE

dure, pour une raison qui tenait, aux côtés un peu conventionnels de son caractère. La mise en mouvement de la machine administrative déguisait mieux cette besogne de police. Le personnage important auquel il s’adressa lui promit qu’avant quinze jours le dossier demandé serait constitué, et Darras put rentrer à son bureau, d’où il ne s’était jamais absenté sans prévenir, durant toute sa vie d’ingénieur-conseil. Son espérance était maintenant très voisine de la certitude simulée tout à l’heure, — étant donné ses idées sur la moralité de Mlle Planat. Il n’en tomba pas moins, quand il fut seul à sa table, devant ses papiers, dans une mélancolie si profonde qu’il fut incapable de travailler. Au cours des deux scènes subies le matin, il venait d’être atteint à la fois des deux côtés où son cœur était le plus tendre, le plus vulnérable. En lui reparlant comme il avait fait, Lucien lui avait prouvé que ses phrases de l’avant-veille n’avaient pas été l’éclat d’un simple emportement. Elles manifestaient une disposition profonde de son être. Elles avaient, à quarante-huit heures de distance, jailli deux fois si naturellement de sa colère, et les deux fois avec cet accent d’une si acre rancune, avec ce regard d’une haine si intense ! Lui-même, Darras, redevenu de sang-froid, s’étonnait de sentir que cette rancune avait éveillé en lui un écho qui ne s’apaisait pas. Son ménage de mari d’une divorcée avait eu deux orgueils. Il avait été fier d’avoir absolument remplacé le vrai père auprès de son beau-fils et, en ce moment, il éprouvait contre cet enfant du premier lit l’aversion animale d’un beau-père. Ces mots du jeune homme avaient suffi : « Elle était ma mère avant d’être ta femme. » Darras avait été