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SILENCES

et par suite indiscutable, ne lui permettrait pas de convaincre l’étudiante de mensonge. Il continuait de croire qu’elle avait joué à Lucien une comédie dont celui-ci cesserait d’être la dupe le jour où il tiendrait la preuve qu’elle n’avait pas eu un seul amant, et Darras en était sûr : il n’y avait pas eu que Méjan dans sa vie. Toute cette histoire d’une « Union libre », contractée entre deux consciences, par haine des lois iniques et d’une société barbare, lui paraissait une fantasmagorie édifiée à plaisir pour la naïveté d’un visionnaire de vingt-trois ans. S’il eût pu prévoir l’audace d’une telle imposture, il se fût muni d’un dossier plus complet, dès le début. Il était temps encore de le compléter, car l’insensé jeune homme, au cours de cette violente explication avec ses parents, ne s’était pas départi de son caractère. Il n’avait pas dit : « Je veux épouser Mlle Planat parce que je l’aime. » Il avait dit : « Je veux l’épouser parce que je l’estime. » Ruiner cette absurde estime, ce serait du coup ruiner ce dangereux projet, cette romanesque réhabilitation d’une femme méconnue ! Si cette nouvelle enquête n’aboutissait pas, — l’échec après tout était possible, quoique peu probable, — Darras entrevoyait une autre voie à suivre, qui, celle-là, réussirait. Une offre d’argent considérable déciderait sans aucun doute cette fille à lâcher sa proie. Cet honnête homme reculait, par scrupule, devant ce marchandage d’une conscience qu’il méprisait cependant. L’entretien à soutenir pour mener à bien une telle négociation lui répugnait trop. Il lui avait déjà été si pénible de donner des instructions d’espionnage à l’agent du Grand-Comptoir. La visite à la place Beauvau lui fut moins