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UN DIVORCE

— « Je t’aime ! Je ne veux plus rien savoir ! Que je sois damnée, mais que je ne te quitte pas, jamais, jamais

— « Tu ne seras pas damnée, » répondit-il, « et tu ne me quitteras pas… Mais, » — il regarda sa montre — « le temps presse. Il faut agir dès aujourd’hui… »

— Tu vas essayer de revoir Lucien ? » interrogea-t-elle, et, tremblante : — « Dans son état d’excitation, j’ai peur. »

— « Je ne vais pas le revoir, » reprit Darras. « Laisse-moi seulement une pleine liberté d’agir, et aie confiance… Ce mariage n’aura pas lieu. Je m’y engage, et tu sais que je tiens mes engagements. »

Cette confiance qu’il essayait d’inspirer ainsi, d’imposer presque à sa femme, le mari l’avait-il lui-même ? Possédait-il vraiment ce sûr moyen dont il avait proclamé l’immanquable efficacité ? Quand il eut quitté Gabrielle, un peu apaisée par cette énergie d’affirmation, son visage était loin de traduire cette certitude du succès qu’il avait moins éprouvée qu’il ne l’avait feinte. Il avait voulu interrompre à tout prix une crise de désespoir, trop douloureuse pour celle qui la subissait, et pour lui, l’impuissant témoin. À peine hors de la maison, il avait pris une voiture et s’était fait conduire place Beauvau, au Ministère de l’Intérieur. Dans cette campagne qu’il était décidé à entreprendre pour tenir sa parole et empêcher un mariage dont le contre-coup menaçait d’atteindre si profondément la mère, c’était la première démarche à tenter. Il fallait savoir, comme il l’avait dit l’avant-veille, si quelque témoignage officiel,