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SILENCES

nière très distincte, s’étaient élevées dans l’esprit de Darras au fur et à mesure des répliques de Gabrielle. Elles aboutissaient à cette résolution d’empêcher à tout prix l’union de son beau-fils et de l’aventurière, qu’il confirma en répétant : — « Non. Ce mariage de Lucien n’aura pas lieu. J’ai un moyen sûr de l’empêcher. Tu te rendras compte, alors, quand tu auras ton fils, et guéri de sa folie, que ces phrases du Père Euvrard ne signifient rien, absolument rien. Car Lucien reviendra. J’en fais mon affaire… Et tu ne te croiras plus punie, alors, d’une faute que tu n’as pas commise. Tu nous verras, vis-à-vis l’un de l’autre, dans les mêmes termes où nous étions autrefois. J’en fais mon affaire encore… Ce que je te demande simplement, c’est de ne plus jamais te taire. Pense avec moi tout haut. Je veux que tu sois heureuse comme tu l’as été, du même bonheur complet, fait d’union de nos deux cœurs et de nos deux esprits. Nous avons connu pourtant ce bonheur. Nous le connaîtrons encore. »

Il avait mis dans ces protestations un accent si convaincu, une telle ardeur de dévouement émanait de son regard !… Gabrielle se laissa pour un instant et encore une fois suggestionner par cette personnalité sur laquelle la sienne s’était tant appuyée. L’absence totale de rancune contre Lucien qu’elle constatait chez Darras, après une si violente altercation et où le jeune homme s’était montré si ingrat, touchait son cœur de mère et d’épouse. D’avoir parlé ainsi, de ne plus porter ce poids de silence lui donnait, même dans sa peine, une sensation de délivrance qui se manifesta par un mouvement de passion. Elle se jeta dans les bras de son mari, en lui disant :