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UN DIVORCE

défendue. Il l’avait, en l’épousant, défendue contre son premier mari, défendue ensuite contre la malveillance du monde à l’égard des femmes divorcées, défendue ces jours derniers contre son fils. Il fallait maintenant la défendre contre elle-même. Comment ? Des confidences auxquelles cette âme troublée venait de s’abandonner enfin, une indication positive se dégageait : ce mariage de Lucien avec une femme indigne avait donné corps aux scrupules flottants dont cette imagination était hantée. Elle avait vu là une vivante vérification des menaces par lesquelles un prêtre, à tout le moins imprudent, avait encore accru son exaltation, au lieu de la calmer. Que ce mariage n’eût pas lieu, que Lucien revînt à la maison, affectueux comme autrefois ; que leur existence familiale reprît, paisible, régulière, heureuse, et l’effet disparaîtrait avec la cause. Le cauchemar se dissiperait, et avec lui cette crise de terreur superstitieuse. Ce serait au mari de diminuer les chances du retour de la manie religieuse : il envelopperait sa femme d’une sollicitude plus dévouée encore ; il réduirait une à une les fausses idées ravivées chez elle par la rentrée, à la suite de sa fille, dans l’atmosphère funeste de la dévotion catholique. La tâche serait aisée, puisque Jeanne aurait fait sa première communion dans quelques semaines. Le père, ayant tenu parole, serait libre de prendre en main à son tour l’éducation de l’enfant. C’aurait été un épisode, aussi pénible qu’inattendu, mais un épisode seulement dont leur ménage sortirait indemne, et d’autant plus vite que cette déplorable histoire de Lucien serait plus tôt terminée. Toutes ces pensées, quelques-unes confuses, cette der-