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UN DIVORCE

d’un coup si subit qu’il n’est pas sûr d’avoir mesuré l’étendue entière de son malheur. Il tremble de ce qui lui reste à découvrir. Une fois le premier saisissement passé, le mari si durement outragé dans son orgueil d’homme s’était efforcé de se reprendre. On a vu qu’il y avait réussi, et qu’à la fin du déjeuner, il avait pu parler à Gabrielle avec douceur. Il s’était dit qu’il se trouvait devant une crise purement sentimentale, et sans doute d’origine nerveuse. Une extrême patience était le meilleur remède. Cet adversaire de tous les préjugés avait ce préjugé-là : il était très près de confondre les émotions religieuses et l’hystérie. Cette nouvelle conversation avec sa femme le consternait, en lui montrant, dans cette pensée si longtemps modelée d’après la sienne, un système cohérent, une conception positive, des affirmations passionnées, mais précises. À peine s’il la reconnaissait. Mais elle-même se reconnaissait-elle ? La violente secousse de tout à l’heure avait comme ouvert dans sa conscience une fissure par où se précipitait un flot d’idées silencieusement amassées dans l’arrière-fond de son être intime. Ainsi remuée, et à cette profondeur, à quelle extrémité n’était-elle pas capable de se porter ? C’était cet inconnu qui épouvantait Darras. Que lui avait conseillé ce Père Euvrard dont, visiblement, le souvenir la hantait ? De partir, sans doute ; de quitter ce second mari, qui, pour ce prêtre bigot, et pour elle maintenant, hélas ! n’était qu’un amant sous un nom légal… Avoir seulement à lutter contre un pareil projet, que cela serait dur ! Aussi éprouva-t-il un véritable allégement à entendre Gabrielle répondre :