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UN DIVORCE

dit Gabrielle, en secouant la tête. « Je ne le suis pas. Toutes les raisons que tu pourras me donner en faveur de notre ménage, crois-tu que je ne me les sois pas données ? Crois-tu que je ne me sois pas rappelé, avec une protestation de tout mon cœur, chaque fois que j’ai éprouvé ces remords, combien tu avais été bon, dévoué, délicat, notre droiture à tous deux dans notre existence commune, la loyauté de notre foyer, notre petite Jeanne ?… C’étaient des joies, de bien douces joies. Elles nous étaient défendues… »

— « Par la loi de l’Église catholique, c’est vrai, » reprit Darras du ton d’un homme résolu maintenant à ne plus s’emporter, et qui discute une opinion pour elle-même, comme si sa propre destinée n’était pas en jeu. « Raisonnons pourtant. Qui l’a édictée, cette loi ? Des hommes. D’autres hommes en ont édicté une autre, puisque le divorce est permis par notre code et par celui de presque tous les peuples civilisés. En quoi l’interdiction, promulguée par les uns, est-elle plus respectable que l’autorisation promulguée par les autres ? Réponds-moi sans t’exalter. Tu vois comme je suis calme et prêt à entrer dans toutes tes idées, à les comprendre… »

— « En quoi la loi de l’Église est-elle plus respectable ? » dit-elle. « Mais précisément parce qu’elle n’a pas été édictée par des hommes. »

— « Et par qui donc ? »

— « Par Dieu… Ah ! pardonne-moi de te rappeler ces mots de l’Évangile qui me font si mal quand je me les répète, et je me les répète tous les jours, à toutes les heures, depuis tant de mois : Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une