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SILENCES

tout de suite, avec attendrissement et un peu de crainte, qu’il ne lui parlait plus avec la même dureté. Elle se sentait, depuis qu’elle avait confessé sa foi, la force de résister à toutes les violences. Comment ne pas faiblir devant une affectueuse et triste plainte ? La petite fille était sortie de la chambre, après avoir présenté son front tour à tour au baiser de sa mère et de son père. Celui-ci commença :

— « Et tu voudrais que ce Dieu dont tu as parlé tout à l’heure, un Dieu qui aurait créé le ciel et la terre, ces myriades et myriades d’étoiles, un Dieu tout-puissant, souverainement bon et souverainement juste, poursuivît de sa vengeance deux êtres coupables, de quoi ? de s’être associés pour avoir un foyer ! Et parce que ce foyer aurait été construit en dehors de quelques simagrées rituelles, il serait criminel ? Il serait maudit ?… Je me suis mis à ton point de vue, remarque, car, pour moi, le Dieu-personne est une dernière idole, comme l’a dit d’ailleurs un prêtre de grand esprit que ses confrères ont poursuivi de leur haine, bien entendu ; Dieu, c’est la loi dans l’Univers, et, dans l’homme, c’est la conscience… Interroge-la, ta conscience, la vraie, celle qui n’a pas été faussée par ta première éducation, écoute la voix de ton cœur quand tu viens d’embrasser ta fille par exemple, et reconnais que des remords, à l’occasion d’un mariage où tu n’as reçu et donné que du bonheur, ne peuvent pas être légitimes. C’est une disposition morbide, à laquelle tu vas me promettre de ne plus te laisser aller. Elle deviendrait coupable, si elle se prolongeait… »

— « Tu me parles comme à une malade, » répon-